Magazine des arts et du divertissement - MAD Mercredi (17 novembre 1999)Les bouleversements temporels de Luca Masali
La science-fiction italienne, on ne la connaissait que fort peu jusqu'ici. Lino Aldani, Stefano Benni avec son superbe "Terra" et quelque peu Dino Buzzati, qui a effleuré le genre. Pas davantage. Manque de traductions sans doute, mais aussi manque de talents. Tout cela change pour le moment. D'abord, la SF italienne vit une révolution salutaire et même une explosion, sous la houlette de Daniele Brolli et de Valerio Evangelisti; et puis des rencontres se sont tissées au fil de conventions françaises entre gens de la SF italiens et français: des auteurs français sont traduits en italien et des Italiens sont traduits en français. Ce qui nous permet d'apprécier aujourd'hui les "Fragments d'un miroir brisé", une anthologie de la nouvelle SF italienne compilée par Evangelisti. Cette SF est riche, presque mûre, passionnante en tous cas. La nouvelle cyberpunk de Silvio Soso, "Ketama", "Kappa", d'Evangelisti, "Choukra", de Nicoletta Vallorani, sont de petites perles. Et, avec "La baleine du ciel", Luca Masali montre ses racines verniennes, son amour des temps désarticulés et son plaisir de prendre des personnages historiques comme héros. Ici, c'est Nobile, qui réalisa avec Amundsen en 1926 le premier survol du pôle Nord à bord d'un dirigeable. Masali aime naviguer sur les océans enchevêtrés du temps. Dans "Les biplans de d'Annunzio", il fait intervenir des gens du XXI e siècle durant la guerre 14-18, afin de lui donner une autre fin. Et l'aviateur Matteo Campini passe des duels dans le ciel de la première guerre mondiale aux massacres de la Bosnie d'aujourd'hui. Matteo Campini, on le retrouve dans "La perle à la fin des temps". Où il plonge dans une fameuse aventure en 1924: il part avec André Citroën sur les traces du Scarabée d'or, une autochenille qui est abandonnée en plein désert. Mais les temps se télescopent, et surgit l'Istanbul du futur, hanté par les cyberderviches, prêtres d'un islam triomphant. Ce qui est remarquable dans ces romans de Masali, c'est le mélange totalement réussi de l'histoire, de l'érudition, de l'intelligence et de l'aventure. Si le reste de la SF italienne ressemble à du Masali, alors traduisez, messieurs les éditeurs. J.-C. V.
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